138e congrès, Rennes, 2013 - Se nourrir. Pratiques et stratégies alimentaires

jeudi 25 avril 2013 - 14:00


Thème II. Du terroir au garde-manger planétaire

Sous-thème : II.D. Nourritures et produits du littoral

Titre : Le goût du poisson ? (du XVIIIe au XXe siècle)

Présidents :
COUTELLE Alain
, professeur émérite des universités
SÉNÉPART Ingrid , archéologue municipale, direction de l'architecture et du patrimoine, Ville de Marseille, CEPAM (Cultures, environnements, Préhistoire, Antiquité, Moyen Âge), UMR 7264 du CNRS

Les Français mangent peu de poisson : « La consommation du poisson, de mer ou d'eau douce, est insignifiante en France : elle est, d'après les calculs basés sur la statistique, de 330 grammes par an pour chaque individu. À Paris même, où affluent des approvisionnements considérables, elle n'est en moyenne, par an et par individu, que de 10 kilogrammes, dont 9 de poisson de mer ».
Pourquoi cette abstention ? L'altération relativement rapide du poisson frais est la principale raison pour laquelle ce produit reste rare ou peu familier en de nombreux points du territoire éloignés des bonnes sources d'approvisionnement que sont les ports de mer. En Europe occidentale, le poisson frais n'est devenu un article courant dans les régions intérieures qu'à la suite du développement du chemin de fer et de la production de glace puis, plus tard, du transport routier ; le poisson de mer frais est resté peu familier aux habitants de certaines régions jusque bien avant dans le XXe siècle.
Plus encore sans doute, le poisson, qui possède d'évidentes vertus alimentaires, a toujours fait l'objet d'appréciations défavorables et de commentaires réservés. Du coup, les poissons ne constituent guère un aliment noble ; le carême n'était autrefois pas vécu positivement, et avant d'aborder cette période difficile, fête et bombance accompagnent le mardi gras, veille de mercredi des cendres. Ce sont des aliments de carême très marqués religieusement, dont l'image est clairement celle d'un mets de jeûne. Ce sont des aliments de complément dans un pays agricole comme l’est alors la France.
Pourtant, le goût du poisson est parfaitement défini depuis au moins le XVIe siècle et les livres de cuisine de l'époque nous le confirment. Les poissons de mer peuvent être partagés en trois groupes : « les espèces qui appartiennent au premier groupe sont caractérisées par une chair délicate, légère, de facile digestion pour tout le monde ; tels sont le turbot, la barbue, l'éperlan, la sole, le merlan, le rouget-barbarin, le flétan, aussi nommé fléton ou helbut. À ce groupe se rattachent mais avec une qualité inférieure, le carrelet, la limande et le hareng. Les poissons qui composent le second groupe offrent également une chair succulente, mais moins digestible […]. Ce groupe comprend le saumon, le bar, l'alose, la dorade, le mulet ou meuille, le cabillaud, la raie, l'aigle, le maquereau, la sardine fraîche, l'équille, l'esturgeon, le thon. On peut rattacher à ce groupe, mais comme aliments plus grossiers, le chien de mer, le congre ou anguille de mer, le grondin, le hareng saur, le hareng salé, la morue, la merluche, le maquereau, le saumon et la sardine salés. Les poissons qui appartiennent au troisième groupe donnent une chair médiocre, sèche ou grêle ; ce sont la vive, l'ange, l'orphie la pucelle, etc. ».
D'un côté on repère une faible consommation du poisson en France, et dans le même temps on constate qu'il fait l'objet de recherches gastronomiques évidentes. Très tôt s'établissent des catégories en fonction de la qualité du mets. Alors comment peut-on expliquer ce hiatus entre le discours et la réalité des statistiques ? La communication proposée tente d'y répondre.

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M. Jean-Christophe FICHOU, Professeur d’histoire et géographie, Chercheur associé au Laboratoire d'histoire et sciences sociales du littoral et de la mer (SOLITO, université de Bretagne-Sud)