07/12/2001 - Parcours métis


Loin des réductions idéologiques ou des effets de mode, trois ouvrages permettent d'éclairer la notion de métissage MÉTISSAGES D'ARCIMBOLDO À ZOMBI de François Laplantine et Alexis Nouss. Ed. Pauvert, 636 p., 44,50 € (291,90 F). PASSEURS CULTURELS Mécanismes de métissages sous la direction de Louise Bénat-Tachot et Serge Gruzinski. Presses universitaires de Marne-la-Vallée, éditions de la MSH Paris, 320 p., 26,67 € (175 F). PARADOXES DU MÉTISSAGE Sous la direction de Jean-Luc Bonniol. Ed. du CTHS, 246 p., 28 € (183,67 F). La fortune des mots révèle souvent l'esprit du temps. Aujourd'hui, le métissage est en vogue, c'est un thème prisé et un terme abondamment utilisé pour vanter les produits les plus variés, de la gastronomie à la décoration en passant par l'habillement et le divertissement. L'authentique recule, l'exotique est détrôné, arrive le métissé, intrigant, attrayant et, en raison même de son succès, souvent accusé de suivre le sillage idéologique suspect de la globalisation. Dans la profusion des usages et les ambiguïtés du langage, un effort de clarification s'impose. Trois ouvrages savants sur le sujet commencent par se démarquer de ces engouements confus : le cosmopolitisme mercantile, l'appétit consumériste d'élites friandes des cultures du monde, les excès des théories postmodernes gommant les rapports de forces au profit de l'exaltation d'une hybridité figée en nouvelle identité, tout ceci se développe, c'est vrai. Pour autant, le métissage, qui ne date pas d'aujourd'hui, ne se réduit pas à ces idéologies et à ces effets de mode. Phénomène paradoxal, dynamique et subversif, il prend, dans chacun de ces livres, de multiples visages. D'"ACCUEIL" À "ZOMBI" Conçu par François Laplantine et Alexis Nouss aidés d'une vingtaine de collaborateurs, le premier se présente comme un gros dictionnaire bizarre et facétieux. voir séquence Livres De A à Z, soit d'Accueil à Zombi, en passant par Fluxus, le Hip hop, les conjonctions Avec et Entre, Pessoa le multiple ou Montaigne le "mêlé", auteurs, concepts, mouvements artistiques, lieux et mots s'égrainent. Pourquoi avoir choisi la forme du dictionnaire, avec ses contraintes d'ordre et de rangement ? "Pour mieux jouer et en jouer", disent les deux auteurs qui invitent à considérer leurs 220 entrées "comme des entrées d'artistes". Cela donne une composition hétéroclite et ludique, ponctuée de rapprochements insolites. Un drôle de mélange dénué de tout souci d'exhaustivité, un livre métissé offrant un parcours buissonnier, mais non dénué d'orientation. D'un article à l'autre, il s'agit en effet de montrer que le métissage, loin de l'idée de symbiose et de totalité unifiée, tire sa force de son instabilité même. A la fois expérience individuelle de la désappropriation et culture de l'incertitude, il offre "une troisième voie", entre uniformisation croissante et exacerbation des particularismes identitaires. Sous la houlette de Louise Bénat-Tachot et Serge Gruzinski, quatorze chercheurs, en histoire, anthropologie et littérature, ont étudié, au plus près de leurs terrains ou corpus respectifs, les mécanismes du métissage et le rôle joué par ceux qu'ils nomment des "passeurs culturels". Il s'agit, comme le rappelle Serge Gruzinski, de "penser l'intermédiaire", de saisir les inventions, bifurcations et détours qui défient "la rigidité des catégories", à commencer par celle de culture. Là encore, l'hétérogénéité est assumée dans la variété des cas, des temps et des lieux. Des passeurs du monde colonial ibérique (comme l'aristocratie créole du Venezuela), aux écrivains contemporains (tel Michaux et son "écriture en transit"), de la recomposition d'une parole religieuse à la médiation des parlementaires mobilisés pendant la Grande Guerre, l'éventail est vaste, les études précises mais les échos, parfois, ténus. L'ouvrage dirigé par Jean-Luc Bonniol est plus homogène dans la mesure où les contributions, de qualité, concernent essentiellement la réalité et les débats antillais. Là, le métissage, hérité de la société coloniale et esclavagiste qui le réprouvait, est à la fois expérience et enjeu. Le rapport entre la couleur de la peau et la hiérarchie des statuts induit des stratégies et"une fragmentation des distinctions"qui se traduit dans les débats politiques. Jugé aliénant par les mouvements des années 1970 qui critiquaient l'"idéologie mulâtre"de l'intégration, il est aujourd'hui promu par le courant de la créolité qui invite à assumer comme richesse la diversité des héritages sans en privilégier aucun. Un courant lui-même contesté sur place mais qui, parti des Antilles, en vient à désigner la dynamique culturelle des mondes pluriels. Nicole Lapierre • ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 07.12.01