08/10/2018 - Le CTHS rend hommage à Michel Vovelle
Michel Vovelle, qui vient de nous quitter, a présidé la Commission Jaurès du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques (CTHS), dévolue à l’Histoire de la Révolution française, de 1986 à 1996, en un temps où bien d’autres responsabilités épuisaient ses forces (Commission de recherche scientifique du Bicentenaire, Commission internationale d’Histoire de la Révolution, Société des études robespierristes, Institut d’Histoire de la Révolution française, entre autres). Il en a été ensuite le président d’honneur. La commission alimente alors régulièrement débats, congrès annuels thématiques des Sciences historiques, et éditions (actes de colloques, thèses et sources). Elle est cependant déjà fragilisée par les problèmes statutaires qui affectent le CTHS : ils conduisent en 2000 à la fondation de la 5e section du CTHS, consacrée à l’ « Histoire du monde moderne, de la Révolution française et des révolutions ». Cette absorption de la Commission Jaurès, une mésentente avec la direction du CTHS sur la publication d’une histoire de celle-ci, conduisent Michel Vovelle à la démission.

De l’eau a coulé sous les ponts, et la vie de cette nouvelle section a montré que les cohabitations institutionnalisées ne conduisaient pas forcément à l’effacement du caractère des partenaires, ni à leurs déchirements incessants. Nombre de collègues et d’élèves de Michel Vovelle ont repris son flambeau, lui qui pouvait, par ses travaux et ses engagements, se revendiquer des trois champs académiques accolés dans l’intitulé de la nouvelle entité. Ils veulent aujourd’hui souligner, au-delà de la perte personnelle qu’ils éprouvent et de la dette dont ils lui sont redevables, l’importance scientifique de celui qui vient de nous quitter. Praticien reconnu de la « nouvelle histoire », innovant dans la découverte des sources comme dans les méthodes, sa longue étude des testaments provençaux a conduit Michel Vovelle à établir une chronologie nuancée de la piété au siècle des Lumières, et à formuler l’hypothèse d'une « déchristianisation » (Piété baroque et déchristianisation en Provence au XVIII ° siècle, 1973). S’interrogeant sur les perceptions intimes et collectives de la mort, il a démontré l’importance de l’iconographie et de l’analyse méthodique du discours (La Mort en Occident de 1300 à nos jours, 1983). Il a aussi sollicité l’histoire quantitative et sérielle pour décrypter les gestes festifs et les pratiques religieuses, leur subversion par la Révolution (Les métamorphoses de la fête en Provence de 1750 à 1820, 1976). Au lieu de conclure sur un modèle unique du cérémonial révolutionnaire, il insiste au contraire sur l’aspect protéiforme de la « déchristianisation », et sur la prise en compte nécessaire de sa modulation géographique (en particulier dans La Révolution contre l'Église. De la Raison à l'Être Suprême, 1988). Contre les triomphantes perspectives du long terme braudélien et dans le même esprit que Maurice Agulhon, il associe donc ce renouveau de l’histoire culturelle, dont il est l’un des pionniers, à « la redécouverte du politique » et de l’évènement, et encourage ainsi une relance des études de terrain, avec une aptitude à battre et à croiser les cartes magnifiquement démontrée par La découverte de la politique, une géopolitique de la Révolution (1992). Le social et le politique investissent avec Michel Vovelle la sphère de l’« imaginaire » : « Il fallait passer du côté des représentations collectives pour étudier comment elles se forment, s’élaborent et vivent », en tenant compte du « jeu entre les conditions objectives de la vie des hommes et les représentations qu’ils s’en font ». De là l’importance des investigations sur les fêtes, les espoirs et les craintes, les formes de sociabilité, les expressions artistiques, etc. L’illustration la plus parfaite en est donnée et par la publication des cinq volumes consacrés à La Révolution française. Images et récits (1986), et par le grand colloque en Sorbonne du mois de juillet 1989 qui, versant scientifique des commémorations du Bicentenaire, a pour thème L’image de la Révolution française. On y échange sur la transmission des concepts et des symboles, sur les véhicules de la circulation des idées, sur la géographie et la chronologie de leur diffusion et de leur renouveau, sur la réfraction politico-idéologique dont sont empreintes les interprétations fluctuantes des évènements révolutionnaires. Une place majeure est donc réservée à l’examen des pratiques politiques, mettant en regard l’invention de principes et d’institutions radicalement nouveaux, et les coutumes, les comportements tenaces du passé, ceux que Michel Vovelle retrouvera chez les sans-culottes de Marseille (2013), comme il les a analysés en suivant Les jacobins, de Robespierre à Chevènement (1998). Sur tous ces thèmes, le Bicentenaire permet la réalisation d’outils indispensables à l’enquête, de l’État de la France sous la Révolution à l'Atlas de la Révolution française. Dans le cadre du Bicentenaire, dont il a été, sur le plan scientifique, l’un des principaux animateurs dès 1982, Michel Vovelle a su ouvrir le débat aux différentes écoles, même si cette ouverture n’a pas été toujours payée de retour. Cette riche expérience nationale et internationale nourrira plus d’une mise en perspective historiographique (Recherches sur la Révolution en 1991, Combats pour la Révolution française, en 1993, 1789. L’héritage et la mémoire, en 2007), jusqu’à ses souvenirs publiés ces deux dernières années (La Bataille du bicentenaire de la Révolution française, Mémoires vives ou perdues), où il revient sur sa famille, ses engagements politiques (avec le Parti communiste), son parcours d’historien, ses victoires et ses défaites, ses inspirateurs et ses éventuels héritiers. Nul doute qu’ils seront nombreux à se retrouver dans une partie ou le tout de cette œuvre immense. Philippe Bourdin Président de la section de l’Histoire du monde moderne, de la Révolution française et des révolutions du CTHS