25/07/2014 - Éditorial de M. Dominique Poulot au sujet du 139e congrès des Sociétés historiques et scientifiques de Nîmes


Le 139e Congrès national des Sociétés scientifiques et historiques organisé par le CTHS, qui se tenait à Nîmes du 5 au 10 mai, et qui a réuni plus de 200 intervenants et près de 500 congressistes, avait pour thème « Langages et communication ». Cette édition prenait un relief particulier puisqu'elle se déroulait dans la ville natale de François Guizot, qui a créé en 1834 notre institution. L’ambition était de réunir «tous les langages - et non les seules langues parlées et écrites - utilisées dans le passé comme aujourd'hui pour la communication à l'intérieur des sociétés humaines» selon le vœu de Mireille Corbier, présidente de la section "histoire et archéologie des civilisations antiques", et présidente scientifique du Congrès, épaulée pour l’occasion par Jean-Louis Meunier, président du comité d'organisation locale, spécialiste de la littérature française du XVIIe siècle et responsable de diverses sociétés savantes.  Prenant acte de la place prise par la communication dans les sociétés contemporaines, et de l’affirmation d’un nouveau champ disciplinaire - les « sciences de la communication » -, le congrès voulait poser les multiples questions ouvertes à ce sujet au sein des sciences sociales et humaines. Il s’agissait en particulier d’examiner un ensemble de ruptures que la présidente du Congrès avait identifiées comme l’apparition de systèmes de signes, de symboles et de représentations au cours de la pré- et protohistoire, ensuite l’invention et la diffusion des écritures, puis les rencontres entre livre et religion,  la préférence accordée aux différents supports (de la pierre au papier), bien sûr l’imprimerie, enfin la numérisation récente des textes, des images et des sons. L’ambition était de proposer une relecture critique des écarts et des décalages (géographiques, sociaux et culturels), des phénomènes d’exclusion et de marginalisation, des silences aussi et des échecs de la communication et de la transmission. Accueilli d’abord à l’Université de Nîmes pour son ouverture, dans un bâtiment patrimonial « Vauban » heureusement réutilisé, le congrès a tenu l’essentiel de ses travaux dans le collège Révolution de Nîmes, dont le personnel était aux petits soins. Parallèlement aux diverses séances le Forum des sociétés savantes a accueilli du mercredi 7 au vendredi 9 mai toutes les sociétés historiques et scientifiques de la région Languedoc-Roussillon qui souhaitaient présenter leurs activités sur un stand. La table ronde des sociétés savantes s’est tenue le mercredi après-midi à l'auditorium des Archives départementales pour évoquer, sous la présidence de Bruno Delmas, le « désenclavement » des sociétés savantes et la numérisation de leurs publications. À cette occasion les Archives départementales inauguraient une exposition sur « transcrire l’histoire » consacrée aux travaux d'Eugène (1812-1880), François (1843-1906) et Joseph (1845-1917) Germer-Durand en matière d’épigraphie, mais aussi d’archéologie au sens large, de toponymie, et d’édition de textes. Les deux conférences générales, au fameux Carré d’Art, chaque fois comble pour l’occasion, avaient été confiées à deux éminents spécialistes, le médiéviste Serge Lusignan et le sociologue Dominique Wolton. Serge Lusignan, évoquant les « langues du roi et les langues des sujets » s’est demandé ce que l’histoire de la langue pouvait apporter à la compréhension de l’histoire, et s’est particulièrement interrogé sur les notions de langue et de dialecte. Passant en revue l’histoire comparée du français et de l’anglais, à travers une sociolinguistique de longue durée, appuyée sur des cartes des frontières linguistiques, il a brillamment démontré la complexité des communications médiévales, largement fondées sur la traduction, d’après le modèle ecclésial où les clercs, formés en latin, prêchaient en vulgaire, loin d’un idéal de communication unique. Grâce à l’étude des pétitions adressées aux rois il a désemboîté le jeu entre lieux de commande et lieux de rédaction : l’écriture d’une langue officielle qui n’est pas forcément la langue parlée produit par exemple des textes en anglo-normand mais dans une orthographe occitane. Serge Lusignan concluait à une nécessaire tolérance des parlers et des écritures dans la communication contemporaine, fort de son expérience montréalaise des partages entre français et anglais, comme, au sein du parler québécois, entre le joual du « Plateau Mont royal», populaire, mais entré en littérature grâce à Michel Tremblay, et la langue académique. Dominique Wolton - qui intervenait en clôture – a placé, pour sa part, sa conférence sous la formule qui lui est chère selon laquelle « l’enfer, c’est la relation ». Dans les pas d’un Marshall Mac Luhan qu’il qualifiait volontiers de « poète », il a évoqué les trois mondialisations de notre temps présent, celle du politique, après 1945, de l’économique, au cours de la décennie 1990, puis des identités à travers langues, patrimoines, et cultures, telle que la déclaration de l’Unesco en 2005 l’a définie. Il a pressé son auditoire de prendre conscience de l’importance de la traduction, devenue selon lui la première industrie culturelle, entre langue maternelle, langue d’apprentissage, et langues internationales. L’amphithéâtre nîmois se voyait ainsi sommé de  « communiquer pour trois raisons : Partager, Convaincre, Séduire », au cours d’un véritable show qui ne pouvait laisser personne indifférent. À l’issue de ces journées toujours très denses, et avant l’excursion finale au Pont du Gard, Mireille Corbier a souligné les thèmes qui lui paraissaient devoir figurer au rang des acquis de ce congrès. Le congrès a ainsi mis en évidence un grand nombre de modes d’information et d’outils de communication dans l’histoire, mais aussi l’extrême diversité des publics, liée en partie à la coexistence et à l'invention de langues, comme aux jeux de l’explicite et de l’implicite, du crypté et de l’ouvert, du silence et de l’incommunicabilité. On citera volontiers in fine l’affirmation de Dominique Wolton dans Informer n’est pas communiquer : « Communiquer c'est autant partager ce que l'on a en commun que gérer les différences qui nous séparent ». Dominique Poulot, président du CTHS